Pierre Prigent est décédé le 23 décembre 2024 à l’âge de 96 ans. Il était professeur émérite de la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg.
Sa présence, son engagement et ses publications, dans le cadre de l'Université, de la Faculté de Théologie protestante et de l'UEPAL, sont reconnus par toutes et tous.
Historien des origines du christianisme, ses recherches et ses publications ont principalement porté sur l’Apocalypse de Jean, l’image dans le judaïsme ancien et le christianisme des premiers siècles.
Un culte d'action de grâces sera célébré le vendredi 24 janvier 2025, à 14h30, en l'église protestante Saint-Matthieu à Strasbourg.
Allocution de Christian Grappe à l'occasion du culte d'action de grâces du 24 janvier.
Pierre Prigent a enseigné à la Faculté de Théologie protestante de 1964 à 1997.
Il a été titularisé comme professeur de philologie biblique à défaut d’une chaire en Nouveau Testament) et la précision « à défaut d’une chaire de Nouveau Testament » n’est pas sans importance pour son propre itinéraire. De fait, cela l’a amené à explorer aussi d’autres voies et lui a permis d’y faire fructifier également, et avec bonheur, ses nombreux talents.
Cela étant, le livre de l’Apocalypse constitue assurément le principal fil rouge autour duquel s’ordonne sa carrière scientifique. Ne concevant pas la recherche sans la vulgarisation, il en a fourni concomitamment des commentaires plus brefs à l’intention d’un large public tout en préparant le grand commentaire qui est paru en 1981. Et il ne s’est pas arrêté en si bon chemin
puisqu’il a remis l’ouvrage sur le métier jusqu’à la publication d’une nouvelle édition de ce commentaire en l’an 2000. Un commentaire profondément renouvelé du fait de la la prise en compte de textes retrouvés à Qoumran et publiés en 1992 qui venaient confirmer la justesse de ses vues. Ce nouveau commentaire comprend 120 pages de plus que le premier, ce qui atteste l’ampleur de la refonte.
Pierre Prigent était encore un spécialiste reconnu des pères apostoliques, avec d’importants travaux sur l’Épître de Barnabé, dont l’édition qui en est parue dans la collection des sources chrétiennes. Et il s’est intéressé de près au judaïsme dans son rapport à l’image et à l’art des premiers chrétiens, avec là encore des ouvrages reconnus à l’appui.
Concrètement, c’est surtout le grec et l’audio-visuel qu’il a enseignés à la Faculté, tout en apportant son concours à ce qui était alors le CEPP (Centre d’Études Pratiques et Pédagogiques) devenu depuis le CTP (Centre de Formation en Théologie Pratique). C’est dans ce cadre qu’il a pu enseigner le Nouveau Testament et il avouait lui-même que c’était là la partie de sa vie professionnelle dont il gardait le meilleur souvenir. Il l’expliquait ainsi il y a quelques années : « vulgariser n’est pas un art mineur. Après tout, les textes du NT ont été écrits pour que le peuple chrétien les comprenne. C’est bien pourquoi, mis à part l’Apocalypse pour laquelle j’ai fourni un effort scientifique soutenu, je n’écris plus, en NT, que pour vulgariser et je supporte vaillamment le mépris que plusieurs spécialistes vouent à ce genre de publications. »
Je garde de lui, qui a été mon professeur avant que je devienne son collègue, un très vif souvenir. Toujours discret, le regard pétillant d’intelligence, il avait un don inné pour faire aimer, par effet de contagion en quelque sorte, ce qu’il aimait lui-même ou ce à quoi il était sensible. Et je me souviens encore comment, en cours de grec, il nous avait inculqué, de la manière la plus efficace qui soit, le mot artos qui désigne le pain dans cette langue. Il nous avait raconté comment, alors qu’il se trouvait à table dans un petit restaurant avec son épouse en Grèce, il avait souhaité demander du pain, et cela dans la langue du pays. Il avait donc demandé au serveur : artos. Mais le serveur lui avait fait de gros yeux. Il s’était alors dit qu’il n’avait pas assez roulé les r et il avait repris : arrrrrrtos. Le serveur lui avait alors répond : Ah bread ! Et Pierre Prigent s’en amusait encore.
Outre les enseignements qu’il assurait, il s’est aussi engagé sur le plan administratif. Il a été ainsi, à deux reprises, assesseur du doyen et s’est dévoué à la cause de la Faculté et, plus largement, de l’Université dont il a été amené à diriger le département audio-visuel. Il a également représenté la Faculté au Chapitre de Saint-Thomas et a joué un rôle majeur, en tant que chanoine en charge de la bibliothèque du Stift, dans l’évolution qui a abouti à sa transformation en Médiathèque protestante. On retrouve là sa perception de l’importance de l’audio-visuel, champ dans lequel il a assurément joué un rôle pionnier.
Pour ses 70 ans, l’association des publications de la Faculté lui a offert un volume d’hommage consacré – on ne s’en étonnera pas – à l’Apocalypse.
Je voudrais, pour clore cette brève évocation, citer le passage suivant de la préface à la deuxième édition de son commentaire de l’Apocalypse. Il exprime bien le caractère à la fois original et pleinement assumé de sa démarche : « Un jour, un savant collègue m’a demandé si je ne délaissais pas l’exégèse pour la mystique ! Ce qui appelait en réponse la question : […] l’ Apocalypse est-elle un texte mystique ? »
Aujourd’hui, la réponse s’impose et elle est positive : à Qoumran dans le Judaïsme, et dans les Odes de Salomon (sans oublier les écrits johanniques !) au sein du christianisme, on trouve la même eschatologie double sur quoi repose le message de l’Apocalypse et qui fait son mysticisme. Mieux, cette conviction s’enracine le plus souvent dans le culte et ses proclamations hymniques : allant au-delà de la problématique du déjà/pas encore, c’est l’affirmation d’un futur aux résonances présentes et d’un présent ouvert sur l’éternité. De ce fait, l’ Apocalypse est la révélation d’une réalité auprès de laquelle l’actualité prend presque statut d’apparence. Ce n’est pas un dualisme docète : le monde est vrai et réel, mais il y a une vérité et une réalité supérieures. La transcendance est loin d’être un rêve. Elle est source de vie et assurance de victoire. La temporalité n’est pas abolie, mais elle connaît une totale conversion. Le monde nouveau est un espace de vie que l’on peut découvrir ici-bas.
C’est avec cette conviction chevillée au corps que Pierre Prigent, j’en suis convaincu, s’en est allé.